Les feuilles roussissent, les soirées raccourcissent, nous venons à peine de passer l'équinoxe d'automne et selon la sagesse amérindienne, c'est le moment de l'année où lâcher prise et faire le tri. Ranger les robes légères, ressortir les pulls en laine, choisir ce que l'on portera en vue de l'hiver.
Même processus intérieur, jeter les idées dépassées et conserver précieusement les grandes leçons et vibrantes inspirations fait du bien. Aussi je vous invite à découvrir mon bel apprentissage de l'été : les bienfaits de la méditation Vipassana pour le corps et le cœur.
Pourquoi méditer par l'ascète bouddhiste Ayya Khema
Tout d'abord, et afin de répondre à ceux qui se demanderaient pourquoi passer dix jours dans le silence assise sur un coussin alors que tout le monde part à la plage !
Pour tenter de " faire l’expérience de la pureté originelle de notre esprit. (...) d'un moment de félicité extraordinaire, un moment porteur d’une forme de bonheur introuvable ailleurs ni autrement, un bonheur indépendant des circonstances extérieures (...) qui ne dépend pas de la qualité de la nourriture ou du climat, des distractions ou des relations avec les gens ; qui ne dépend ni des autres ni de leurs réactions positives ni des objets que l’on possède."
A l'instar d'Ayya Khema, vénérable enseignante d'origine allemande (1923-1987)* je souhaite débrancher complètement de la vie mondaine hyper stimulante et tenter de voir qu'"une fois que la verbalisation mentale s’arrête, non seulement le calme apparaît mais aussi un sentiment de contentement." La nonne bouddhiste explique par une simple comparaison que "nous ne serions guère heureux si notre corps n’avait pas de maison, pas de lieu où se poser. De même, nous ne pouvons être heureux si nous n’avons pas d’endroit où poser notre esprit. Cet espace paisible et calme est la demeure de l’esprit. Il peut y trouver refuge et s’y reposer, exactement comme le corps se repose, après une journée de travail, dans un fauteuil et, la nuit, dans un lit." Elle ajoute que "la vie peut nous offrir des circonstances extérieures agréables mais la satisfaction que l’on trouve grâce à la vie intérieure est beaucoup plus vaste. Le lâcher-prise, le renoncement, apportent une vision profonde, la compréhension que l’ego ne fait que vouloir, vouloir et, par conséquent, vouloir penser aussi. Quand l’ego cesse de vouloir, il n’a pas besoin de penser. Quand l’ego cesse de vouloir, toute forme d’insatisfaction disparaît. Voilà pourquoi nous devrions méditer."
Noble Silence chez Jean-Luc et Céline
Répondant à cette prometteuse invitation, je prends le train vers Angoulême, curieuse mais non sans appréhension, direction Champmillon chez Jean-Luc Riff et Céline Chabaud. Le couple accueille des groupes de méditants débutants et confirmés pour des retraites de méditation de pleine conscience Vipassana depuis bientôt 15 ans. Loin de la technique enseignée par les disciples de Goenka au fameux centre bourguignon Dhamma Mahi où des groupes de 300 personnes expérimentent la méditation assise exclusivement, je rejoins une petite quinzaine d'hommes et de femmes âgés de 25 à 70 ans et venant des quatre coins de France dans une belle demeure de paille au milieu d'un verger. Nous sommes réunis pour partager une expérience exigeante, sans échanger un mot, ni même a priori, un seul regard.
Plongés dans le Noble Silence, nous faisons place à l'intériorisation et l'auto-observation avec curiosité et volonté.
Guidés par Jean-Luc et Charlotte une jeune femme bouddhiste dont la valeur n'a pas attendu le nombre des années, nous découvrons par l'auto-observation comment fonctionne notre esprit. Reprenant le postulat de départ de Bouddha et de grands maîtres spirituels contemporains, il est avancé que c'est l'esprit qui crée la souffrance, et qu'il existe des techniques à pratiquer pour s'en libérer.
Petit rappel historique
Au VIè siècle avant J-C le jeune prince indien et hindouiste Siddhartha, révolté par le malheur et la maladie du monde, quitte femme, enfant et palais pour se tourner vers la recherche spirituelle et une vie d'ascétisme afin de comprendre la racine du mal et aider l'humanité à se libérer de ses souffrances. Il met au point à partir de sa propre expérience une méthode de transformation de soi par l’observation directe, une discipline et des techniques de concentration portant sur les sensations physiques du corps en interaction constante avec l’esprit. Atteignant la clarté, la compréhension et le bonheur suprême par une libération totale de ses souffrances, Siddhartha est alors appelé Buddha, l'Eveillé. Son invitation à cultiver la vision claire et profonde de toutes choses, perdure aujourd'hui et ses enseignements éthiques sont aussi d'actualité.
Aussi et sans prétendre nous rendre au Nirvana en dix jours, nous espérons toucher du doigt la racine commune de l’esprit et du corps, faire l'expérience consciente de la façon dont nous produisons de la souffrance ou la manière de s’en libérer et repartir avec des outils pour notre quotidien dans le monde. Je l'espère aussi au moment de "prendre refuge" pour la première fois dans les Trois Joyaux du Bouddha.
Quatre heures du matin. La cloche sonne.
Il fait encore nuit lorsque je retrouve le groupe dans la grande salle de pratique. Chaque jour, nous aurons droit à deux séances de yoga avec la solaire Camille, Sivananda et Yin, pour muscler, assouplir et détendre notre corps. Nous pratiquerons des exercices de respiration purificateurs et apaisants (Kapalabati, Anuloma Viloma, Sitali) et de lentes marches méditatives dans le jardin. Ces pratiques physiques aident le corps et le mental à se couler dans les séances de pratique assise qui sont au début un vrai défi et provoquent des crampes, des douleurs, et des endormissements.
Difficile d'imaginer que le calme puisse m'envahir pendant les premières séances ! Je sens les méditantes autour de moi lutter aussi contre elles-mêmes, j'entends les bruits du dehors et mon esprit s'évade avec les oiseaux, refuse de rester concentré, mon dos me fait mal, se voûte et j'entends ma belle-mère me dire "tiens-toi droite"... bref, j'essaye sincèrement, mais c'est dur.
Chaque journée est clôturée par un discours philosophique tiré des enseignements de sages contemporains Ajahn Sumedho, Ayya Khema, ou même Sadhguru que je retrouve avec plaisir, lu de manière vivante, sage et pleine d'humour malgré la canicule de fin juillet régnant dans le Dhamma Hall. Je tombe de sommeil à 21 heures tapantes...
Oui, les trois premiers jours ont été éprouvants. Mais quelque chose se passe le quatrième jour de la retraite.
Mon désir de bien faire qui m'a exténuée les premiers jours explose en plein vol. Je vois le perfectionnisme, je me vois. Toute cette énergie libérée par la prise de conscience me permet de vraiment commencer à m'observer dans l'instant. J'ai arrêté de vouloir à tout prix rester concentrée, ne regarder personne, manger en conscience. En lâchant prise, j'ai laissé le Dhamma agir, je me suis laissée agir. En me ménageant aussi et en prenant en considération mes capacités physiques et mentales, là où j'en étais, selon les heures. En m'observant de plus en plus finement au fil des jours, c'est alors que mon état global a changé.
J'ai pu expérimenter beaucoup plus de calme et l'égalisation de mon humeur en acceptant de traverser les montagnes russes des souvenirs surgissant du passé. De même, en les observant les montagnes deviennent des collines, puis de vastes étendues où l'horizon parfois se laisse apercevoir. Mais rien n'est jamais acquis et il me semble que le méditant demeure humblement dans cette posture où il ne sert à rien de s'attacher quoi que ce soit. Ce qui en soi redonne la possibilité de s'émerveiller de chaque instant.
Les séances de méditation assise s'étoffent: de trois fois vingt minutes, on passe à deux fois trente et puis quarante cinq minutes jusqu'à une heure de méditation complète le dernier jour. Je suis stupéfaite d'y arriver. Différentes techniques de concentration pour développer le calme mental, Samatha Bhavana, et de méditation pour développer la vision de tout ce qui est, Vipassana Bhavana, s'alternent à chaque séance. Chacun choisit ce qui lui convient le mieux. Tout cela se fait progressivement, et mon corps s'est habitué à demeurer assis sans presque plus bouger. Souvenirs, sensations qui s'imposent au corps et au mental, je ressens profondément que ces aspects de moi sont totalement liés et que leur source commune demande à être vue et intégrée.
Je comprends mieux la nature de l'impermanence.
La nature cyclique du vivant, de mon corps, de la planète. Tout peut s'affecter dans un sens ou dans l'autre, en même temps que l'attention libère, elle peut enfermer. Des réflexions accompagnent cette traversée de douleurs du passé ou de fantasmes agréables, pour m'emmener un petit peu derrière le voile de l'expérience du flux changeant de la vie.
Tout passe, seul l'amour reste.
Progressivement, j'arrive à développer mon attention aussi pendant la journée, en me déplaçant dans la maison, en mangeant, en me douchant.
Mais je développe aussi des qualités de cœur, comme la confiance, le courage, la persévérance, la générosité. La méditation Metta, de l'amour bienveillant, prépare le terrain: il s'agit de s'envoyer de la compassion à soi-même, puis à ceux qui nous entourent et qui nous sont proches, ensuite aux personnes que nous n'aimons pas, et enfin à tous ceux que nous ne connaissons pas à travers la région, le pays, le monde. Pourquoi ? Pour sortir du jugement et de la critique et comprendre que nous ne faisons qu'Un.
Grâce au karma yoga, le service désintéressé, nos actions de la journée sont dédiées à la collectivité: ménage des salles communes, nettoyage des toilettes sèches, épluchage des légumes et préparation des repas, vaisselle. Se mettre au service des autres, calmer son petit ego et son individualisme habituel est apaisant.
Cette retraite est une cure pour l'âme et une détox pour le corps. Le couple bienveillant formé par Jean-Luc et Céline est aux petits soins pour nous. Leurs repas végétariens beaux, bons et roboratifs constituent pour chacun de véritables pauses réconfortantes qui rechargent nos batteries tant physiques qu'émotionnelles pendant un process somme toute exigeant. Leur grande maison construite en matériaux naturels au milieu d'un cocon de nature est une alcôve de retraite parfaite. A la canicule succède un temps doux et pluvieux qui réhydrate nos marches en conscience au bord de la Charente, et facilite aussi les séances de méditation de l'après-midi. Je vis enfin des moments de plénitude et de contentement subtils et inégalables.
Ce voyage d’exploration par l’observation de tout ce qui est en moi m'a permis d'analyser mes pensées, mes sentiments, mes jugements et mes sensations avec beaucoup de clarté et de bienveillance. Par l’expérience directe, j'ai compris la nature de mon fonctionnement, et effectué une longue traversée pour dissoudre (un peu !) mes scories mentales. Je sens que je suis mieux équilibrée, je repars pleine d’amour et de tolérance. Enfin je ne me fais plus d'illusion sur la source profonde de mes problèmes et j'espère avoir le courage de continuer à m'observer en conscience pour propager cette paix. Vipassana numéro 1 a fait bouger mon esprit, mon corps et mon âme... il y aura à coup sûr une deuxième retraite.
En attendant cet hiver pour vous parler de ma prochaine formation de professeur de yoga Sivananda, prenez bien soin de vous.
Avec Metta,
Votre Deborah.
Source
Pour une retraite sérieuse en petit groupe dans le noble silence et un cadre bienveillant je vous recommande l'Association de Méditation Theravada Vipassana de Jean-Luc Riff et Céline Chabaud. Calendrier des prochaines retraites sur https://amt-vipassana.fr/ contact@amt-vipassana.fr
Ressources
Ayya Khema dans Being Nobody, Going Nowhere traduit par Jeanne Schut
Enseignements du Bouddhisme Theravada de l'Ecole de la Forêt sur: http://www.dhammadelaforet.org
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